interview

My Own Private Alaska

Rencontre avec Tristan, compositeur et piano du groupe “My Own Private Alaska”. Un groupe totalement atypique dans le monde du métal avec leur style tout à fait particulier. Hurler sur du piano romantique. Alors même si ils ont un peu “mainstreamisé” leurs compositions, cela reste une écoute bien particulière. Et “All the Lights On”, leur tout dernier album ne déroge pas à cette règle.

Bonjour, on va commencer par une petite présentation du groupe, même si cela commence à faire un petit moment qu'on vous voit sur les routes ?
Oui, on a formé le groupe en 2007. Au départ c'était un trio formé d'un chant hurlé piano et batterie, jusqu'en 2013. En 2013, on a fait une pause jusqu'à en 2020. Puis on s'est reformé avec un quatrième membre qui fait du synthé bass. En fait de la basse mais qui est joué au clavier. Et ceci afin de rajouter un peu de bas dans le spectre musical. Parce que le piano n'est pas aussi puissant qu'une guitare ou une basse.

Ce break, c’était quoi ? Plus envie ? Sans rentrer dans des soucis personnels bien sûr.
Non pas de soucis. Il y avait un double truc. Le premier c'est que notre batteur Yoann avait un autre groupe qui s'appelait “Cats on Trees” et qui cartonnait bien. De ce fait, il avait de moins en moins de temps pour être avec nous. Et moi je suis un peu jusqu'au-boutiste et Yohan était devenu plus un ami qu’un batteur tu vois et du coup je ne me sentais pas du tout de jouer avec quelqu'un d'autre. La seconde chose c'est qu'en 2013, on avait beaucoup plus la tête dans le guidon. On faisait beaucoup plus de business que de musique et ça nous a bouffé. Donc on s'est dit que c'était peut-être le bon moment pour tout arrêter. Et 6 ans plus tard, la musique nous a manqué. Du coup on s'est recontacté avec Milka, le chanteur, Yohan n'était toujours pas dispo Donc on a pris un nouveau batteur et ensuite Laure avec le synthè bass.

Et puis le Covid est arrivé…
Exactement. Je pense qu’on a eu un come back avorté et c'est vraiment dommage parce que j'avais jamais eu autant de retours positifs quand on a dit qu'on se reformait. Et franchement on était super content parce que quand on voyait les stats sur Facebook on se disait “waouh ça va être encore plus gros que ce qu'on avait fait à l'époque”. Et puis comme tu dis, le Covid est arrivé et pour tout te dire, on avait prévu de faire une grosse tournée en Ukraine et en Russie parce que c'est là qu'on a le plus grand nombre de fans. Et donc la guerre a éclaté aussi. Donc, oui, c'était vraiment une période bizarre.

On commence avec la question que les groupes n'aiment pas: comment vous définissez vous, musicalement, car c'est difficile de vous classer ?
Je suis d’accord. Je pense en plus qu'on n’est pas les mieux placés pour répondre à cette question. En plus on a évolué dans notre style au cours du temps. Au départ on avait un cahier des charges où il fallait hurler sur du piano romantique. Et après on met une grosse batterie grungy dessus. Et là on nous a appelé Screamo/ romantique je sais plus quoi. Et c'est vrai que malheureusement au niveau des outils internet, il faut que tu sois dans des cases. Il faut que tu sois rock, pop, metal, en fait que tu précises. Moi, ce que je ne voulais surtout pas c’était être “symphonique” parce qu’on a du piano classique. Ça me fait trop penser à des groupes avec des violons et tout ça. Je ne dis pas que je n’aime pas, mais ce n’est pas notre truc. Donc on s’est classé à défaut en rock indé ou alternatif. La case un peu fourre tout. Mais on a trouvé un truc à la fin qui nous est propre, le “piano-core”.

Justement, on y vient. Omniprésence du piano dans toutes vos compositions, ce n'est pas courant dans ce style de musique, mais c'est aussi votre signature. Pourquoi le piano ?
Avec le chanteur avait un autre groupe avant. Et j’étais avec lui en tant que ingénieur du son. Et à force de tourner on voyait toujours les mêmes groupes qui proposaient toujours les mêmes choses, avec les mêmes styles. Et nous on avait à cœur de proposer quelque chose de différent J'ai eu la chance quand j'étais gamin de faire du piano. J'ai commencé le piano super tôt. Et on s'est dit que ce serait vraiment super fou de hurler sur du piano classique. Et à la première répète, on a halluciné de voir à quel point ça fonctionnait. On a trouvé que c'était super. Et que ça marchait bien en fait ce côté crier hurler sur un piano mélancolique, romantique. Et tu rajoutes une batterie derrière pour asseoir le tout. Je pense que c'était ma double culture que j'avais eu: entre mes 5 ans et mes 15 ans, le piano classique. Et à cet âge-là, comme tous les gamins, j'ai écouté Nirvana. Et j'ai pété un boulard. Du coup, j'ai mis le piano de côté et je me suis mis à la gratte. Et puis vers mes 20-22 ans, je suis revenu à mes premiers amours. Et c'est là que j'ai pu mixer les deux: le côté rock métal et le côté plus classique du piano.

Vous avez eu conscience que cela pouvait choquer, ce piano et cette voix hurlée ?
C'était un peu l'idée aussi que de mettre un pavé dans la mare. L'art c'est fait pour ça. L’art, de base, est fait pour provoquer des émotions. Et de l'autre côté cela se veut, aussi, non conventionnel et c'est ça qui fait avancer les choses. Et c'est trop cool. A la base, c'était quelque chose de très personnel d'où le nom “My Own Private”. Mais une fois que tu fais de la musique, de toute façon elle appartient aux autres. Mais, ça faisait partie du cahier des charges que de vouloir provoquer quelque chose.

Le trio est maintenant un quatuor, pourquoi ce choix de passer à quatre ?
Ce que j'avais commencé à dire au départ, à trois sur scène, ça ne suffisait plus. Il manquait vraiment des fréquences. Il fallait qu'il y ait des basses fréquences, ce qu’un piano ne pouvait pas délivrer. Et le fait de rajouter un deuxième clavier qui fait juste la texture, grosso modo, les fondamentaux que je fais normalement de la main gauche. C'était très chouette et puis ça permet d'ajouter un peu d'électro, un peu de modernité. Et du coup, moi, ça va me permettre d'explorer d'autres pistes voire même de me faire un peu fermer ma gueule au piano (rire). Non plus sérieusement, ça me permet de composer différemment et d'ouvrir encore plus le champ des possibles.

Je ne sais pas si Laure chante, mais cela pourrait aussi amener une voix féminine derrière?
J’avoue qu’on y avait pas pensé, mais pourquoi pas. C’est vrai que cela pourrait être intéressant. Ce n’est pas idiot. Ce n’est pas prévu comme ça, mais vraiment pourquoi pas.

On parle de votre musique comme ouverte et moderne, c'est vrai que dans le monde du metal, vous êtes un peu un ovni, même si tu disais non juste avant ?
Je pense qu'on était un OVNI en 2007. Aujourd'hui en 2024 avec ce nouvel album je n’ai plus l’impression qu'on soit aussi OVNI que ça. Tu vois les nouveaux duos guitare batterie ou guitare basse genre Royal Blood, ce n’est plus du tout choquant. Mais il y a toujours ce côté “c'est un mec qui va hurler sur un piano”.

Il n’y en a pas tant que ça, des “hurleurs” sur un piano.
Peut être. Tu as raison. Mais je pense qu’au niveau du public, c’est devenu plus accessible. Et sur ce nouvel album, on est plus poppy qu’avant. On est plus sur des constructions avec des refrains, alors qu’avant, c’était uniquement des thématiques piano.

Cette manière de chanter, de hurler, c’est un exutoire, un besoin de sortir tout ça ? Ce n’est tout de même pas une douleur ?
Oui, je pense. C’est dommage que le chanteur ne soit pas là pour en parler, mais c’est ce qu'on s’était dit quand on a monté le groupe. Les textes ne sont pas en français car il m’avait dit qu’il ne voulait pas que sa maman comprenne ce qu’il dit car franchement, ce groupe lui permet d’exprimer, de se libérer de choses horribles. Et il en avait besoin. Il a des choses en lui qui n’étaient pas cool, et le fait de le hurler c’est ultra libérateur. C’est une thérapie.

Beaucoup de passages mélodiques, très sensibles, mais aussi beaucoup d'énergie et de puissance pour appuyer des textes très prenants, quels thèmes vous développez dans cet album ?
Il y a toujours ce côté très personnel, mais qui se veut à la fois très universel. Sur “Ka Ora”, par exemple, il parle entre autres de la seconde guerre mondiale en Russie où il y a des mecs qui faisaient péter des ponts, et d’autres qui les reconstruisaient. Mais l’hiver, là bas, est très froid, et les gars bossaient les pieds dans l’eau et leurs jambes devenaient bleues à cause de ce froid. Et il fait un parallèle avec le fait de détruire une relation avec quelqu’un et qu’ensuite, tu essaies de la reconstruire. C’est difficile.

“We'll All Die (But You'll Die First)” est décrite comme une "fuck you song", qu'est ce donc ?
Alors là, pour le coup, il faut prendre la chanson au 1er degré. Il ne faut pas aller chercher de multiples sens qu’il peut y avoir sur un jeu de mot ou sur une métaphore. C’est une “fuck you song” c’est le côté bestial et primaire. Qui tranche avec le reste de l’album.

C’est une chanson “libératoire” ?
Quand on est un groupe de musique, on écrit des choses sur ta musique. Et tant mieux car c’est un peu le but, mais tu lis ou tu vois des choses sur ton groupe, ou sur toi-même par des gens qui te jugent, alors qu’ils ne te connaissent pas, et c’est une réponse à ça. On va tous mourir, mais toi, tu vas mourir avant moi (rire).

Des chansons très accrocheuses, avec des thèmes très noirs, mais avec un peu d'espoir. Je pense à "Burn, and Light The Way" ou "All the Lights On" par exemple.
Je ne sais pas. Je n’arrive plus à voir ça. On écrit ce que l’on est et on ne réfléchit pas à ce que cela va faire. On ne s'en rend pas compte. Après, on a tous grandi, on a tous des gamins, alors peut être qu’inconsciemment effectivement, cela peut faire penser à de l’espoir.

Peut être que ce sont les compos et les arrangements qui font ça. En tous cas, je l’ai ressenti comme ça.
Tu as mis le doigt sur quelque chose que je n’avais pas vu, ou pas ressenti.

Comment vous travaillez, qui fait quoi ?
Je compose au piano. J’apporte une idée et on brode dessus. Jusqu’à présent c’était comme ça. Il y a eu un ou 2 morceaux où on a composé directement à quatre, “We'll All Die” par exemple. C’est d’ailleurs là où il y a le moins de piano. Comme je te disais tout à l’heure, des fois je laisse la place. Ça fonctionne bien. On a trouvé nos marques comme ça.

Il y a des textes qui sont écrits avant la musique ?
Avant oui. Aujourd'hui non. Il n’y a plus de textes en avance, il se laisse plus la liberté d’écouter ce que j’apporte. Ca lui évoque des images, des mots, c’est ça qui lui permet de construire ces textes par rapport à la musique. Ça fonctionne dans ce sens là.

Quelles différences tu peux noter depuis les débuts du groupe ?
On est revenu à des choses plus “mainstream”. Au tout début, le cahier des charges était vraiment super précis. Il fallait hurler, à 100% du temps sur du piano triste, et taper très fort sur la batterie. Ca c’était sur la forme. Et sur le fond, il fallait proposer quelque chose de romantique. Aujourd’hui, on s’en fout un petit peu. On fait ce qu’on aime faire. On ne va pas se réinventer, c’est toujours un peu la même formule, mais si c’est plus convenu sur la structure des morceaux, on ne se l'interdit pas. On fait les deux maintenant, On ne s’interdit plus rien, c’est ça.

Sur scène, on va retrouver quoi ? Car les albums précédents sont quand même un peu différents ? Ça ne va pas être dur d’incorporer les anciens morceaux qui étaient, disons, plus bruts ?
Non, je trouve quand même qu'il y a une certaine homogénéité quand j'y pense. Même si ce n’est pas facile de juger sa musique quand on est en train de la jouer. Et je n’aime pas écouter nos lives. Mais pour en revenir à la question, non je ne pense pas car on trouve des points communs entre tous les morceaux, au moins dans l’énergie qu’on y met. J’ai vraiment ce sentiment d’homogénéité donc on pourra jouer d’anciens titres sans problème, sans dénaturer. On va peut être plus “mainstramiser” les morceaux qui ne l’étaient pas et aussi “bourriniser” les autres. Mais sinon, j’ai le sentiment que ça va très bien se passer.

Vous avez toujours votre dress code particulier ? Vous attachez beaucoup d'importance à l'image ?
Oui oui (rire). Justement comme on ne fait pas du “metal” à proprement parlé, donc on n’a pas l’esthétique qui va avec, le cuir, le noir etc etc… Et puis, il y a l’Alaska, la neige, le blanc, les grands espaces. On trouve que c’est bien. Et puis ça s’y prête. Sur scène, il y a quelque chose. Cela reflète les lumières. Et puis, je ne sais pas, mais, c’est notre identité.

Vous attachez beaucoup d’importance à l’image ?
C’est une musique qui est, ou plutôt qui est considérée comme étant assez esthétique. Donc on est raccord avec ça. Avec tout ce qui concerne notre image, nos visuels, nos éléments de communications, nos vidéos. Après, on travaille souvent avec le même graphiste, on s’entend très bien avec lui. On adore ce qu’il fait. Et lui, il aime quand c’est très léché, quand ça évoque plusieurs sens, et c’est quelque chose qui nous va bien. Ce n’est pas notre volonté d’être différent des autres. Mais j’ai une trop haute estime de la musique, et du métal en général, pour ne pas proposer ma vision du truc, et essayer d’élargir le panel des possibilités. Alors, c’est vrai qu’on pourrait nous classer différemment que métal, et l’avantage c’est qu’on pourrait jouer partout.

Merci pour cette interview.
Un grand merci à toi.

https://myownprivatealaska.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/myownprivatealaska
https://linktr.ee/myownprivatealaskamopa

 
L&T le 21.11.2024
Image
Image
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
essentiel
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.