interview
Trank.
Rencontre avec Michel (chant, claviers et programmations) de Trank qui vient nous parler du groupe et de leur dernier et très bon album “The Maze”.
Peux-tu nous présenter le groupe "Trank", qui êtes vous donc ?
Un jeune groupe de presque vieux (rire). Trank s'est formé, dans sa première incarnation et de manière assez graduelle, entre 2015 et 2016. La premier EP est sorti fin 2016, et le premier véritable album en 2020. On vient d'un peu partout en France, mais on habite tous dans la région de Genève, ce qui nous permet de travailler dans les incroyables studios du coin pour obtenir le son qu'on veut sans avoir besoin de vendre nos maisons pour bosser à Paris ou Londres (rire).
Musicalement, on est dans du gros hard Heavy, mais avec quelques touches mélodiques et groovy. Comment vous vous définissez musicalement ?
Très mal (rire). On nous a beaucoup posé cette question, et je crois que la meilleure réponse a été donnée par l'un des chroniqueurs du premier album, qui avait parlé pour le décrire de "gros sons et émotions fortes". Mais sinon, l'étiquette la plus compréhensible ça doit être "hard rock alternatif" . il y a une base hard rock: les riffs, la puissance des rythmiques et le niveau d'énergie global des guitares et du chant. Mais les idées mélodiques, les progressions d'accords, les arrangements qui alternent le clair et l'obscur, l'utilisation de l'électronique pour créer des atmosphères "grand écran", et la manière d'alterner la mélodie et la fureur dans le chant, tout ça n'a rien à voir avec ce qu'on associe en général au hard ou au métal, et vient beaucoup plus de diverses références "alternatives", de Depeche Mode à Porcupine Tree en passant par Queens of the Stone Age et Soundgarden. Peu nous importe, d'ailleurs, du moment que ce qu'on crée nous plaît, et ressemble aux films pour les oreilles qu'on a en tête.
Je trouve qu'il y a eu une belle évolution au niveau du son. Le passage à 2 guitaristes a été déterminant. Il y avait besoin de ça pour l'évolution du groupe ?
Merci. Et merci d'avoir écouté les deux ! On s'est rendu compte assez vite que les compositions du deuxième album étaient arrangées pour deux guitares plutôt qu'une, et une fois qu'on a réalisé la tendance, on l'a poussée jusqu'au bout.
Qu'est ce qui vous a "motivé" pour ce changement ?
Dans un premier temps, le fait que David, notre ancien bassiste, a voulu repasser à ses premières amours : la guitare, aux côtés de Julien, le guitariste avec qui j'avais fondé le groupe. C'est aujourd'hui Arnaud qui tient la basse à sa place. David vient d'une culture plus hard rock et metal que Julien, plus pop, aussi, par certains aspects. Typiquement, deux guitares plutôt qu'une. Ça lui manquait un peu sur les arrangements du premier album, et ça se ressent dans "The Maze", dans la manière dont il a complété les guitares Julien sur les compos de celui-ci, et la manière dont il les a arrangées et jouées sur les siennes propres. Ensuite, le fait que Julien a choisi de nous quitter, à l'amiable, d'ailleurs : on est toujours très amis avec lui, et son départ était motivé par des raisons qui tenaient à sa vie privée. On a donc recruté un second guitariste et ami de longue date, Nico. David et lui fonctionnent de manière très fluide sur scène : chacun prend le lead ou la rythmique selon les chansons et ce qui lui réussit le mieux, et ça ouvre pas mal de possibilités niveau "gros son" sur scène autant qu'en studio (rire).
On va parler de "THE MAZE", votre album. Où nous entraînez-vous avec ce nouvel album ?
A vous de nous le dire (rire). Le premier album, "The Ropes”, nous a permis de définir l'identité sonore de Trank. Le second, "The Maze", l'explore et en repousse les limites. Il y a toujours ce côté clair / obscur, cet hybride de puissance rock et de mélodie, de noirceur et d'énergie, d'architectures de grattes et d'électronique grand écran, ces voix qui alternent de manière très consciente une forme de douceur ou de mélancolie avec des moments de puissance sans complexes. Le tout dans un "format" chanson qui rend le tout accessible. Mais, on s'est permis beaucoup de libertés sur celui-ci par rapport au premier, notamment en termes de rythmes. Johann est un batteur très technique aux influences hyper éclectiques. Ca nous permet d'aller vers des références au funk metal de Faith No More sur un morceau comme “Chameleon”, jusque vers de l'instrumental électro-prog planant comme sur "The Morning After", en passant par le groove mid-tempo bien lourd d'un truc très hard rock comme "Adrenalin" ou même le mariage Tool / tribal techno de "Pray for Rain", et j'en passe. Il nous semble plus varié tout en restant cohérent.
Il y a-t-il un fil conducteur dans cet album ? Quels thèmes vous abordez ?
Outre l'identité musicale, il s'est passé sur celui-ci la même chose que sur “The Ropes": j'ai réalisé au bout de quatre ou cinq chansons qu'un thème central émergeait des textes, la quête de sa propre identité. Sans doute parce qu'on nous pose souvent la question de savoir comment on définit notre identité de groupe (rire). Mais au-delà de ça, on vit une époque où le concept même d'identité est plus omniprésent que jamais : on reçoit un vrai tir de barrage d'injonctions permanentes à s'affirmer et se définir en tant que ceci ou cela, beaucoup plus en termes de qui on est qu'en termes de ce qu'on fait. Pour un existentialiste dans mon genre, c'est à la fois profondément choquant et angoissant, mais du coup, ça donne de l'inspiration : tous les textes parlent plus ou moins d'une forme de recherche de sa propre identité dans ce labyrinthe d'obligations. "Boys" parle de la tentation de céder à l'endoctrinement et de rejoindre un mouvement quel qu'il soit; "Twenty First Century Slave" de tous ces “social justice warriors” qui prétendent sauver le monde en jugeant et condamnant des gens pour tel ou tel propos, alors qu'il s'agit juste d'affirmer sa propre vertu et de passer pour un héros à peu de frais. "Queen of the Broken” est beaucoup plus romantique, mais parle, un peu comme "Miracle Cure", de l'idée de se découvrir dans quelqu'un d'autre.
L'album est taillé pour la scène. La scène c'est votre ADN ?
On adore le studio. Passer du temps à perfectionner le son d'un morceau, c'est incroyablement satisfaisant, et si on s'était écoutés, on y serait encore. Mais en effet, la scène c'est encore autre chose : connecter avec les gens, leur donner des petits moments de révélation inoubliables pour eux comme pour nous, c'est ça, le but.
Vous avez composé pour la scène, ou bien, il y a des morceaux que vous ne jouerez pas en live ?
Les chansons ont beau être peaufinées à l'extrême, elles sont pensées avant tout pour la scène. Cela dit, on est encore en train de découvrir la force de notre formation à 6 pour les concerts, avec Emma, notre manager, aux claviers et harmonies vocales, en plus d'Arnaud à la basse, Johann à la batterie et aux harmonies, Nico et David aux guitares et moi au chant. L'album a largement été fait à trois, Johann, David et moi, et on passe pas mal de temps sur chaque chanson pour s'assurer qu'on en tire le meilleur parti sur scène. Arnaud et Nico amènent tous les deux une composante funk métal dans leur jeu qui n'était pas là à la base, et qui emmène les chansons vers un autre niveau. Je précise tout de même qu'il y a quelques rares morceaux typiquement pensés pour le studio et pas le live : "The Morning After", par exemple, le quasi instrumental qui clôture "The Maze". Il doit y avoir 24 pistes de claviers et autant de guitares, en gros : donc il faudrait un sacré travail d'adaptation pour lui rendre justice sur scène... Et en même temps, c'est aussi ce qu'on disait de "Evolution", qui fait maintenant partie du set en live : ne jamais dire jamais.
Comment travaillez-vous ? Qui fait quoi dans le groupe ?
En général, l'un d'entre nous, Julien dont trois compos sont sur l'album, ou David, ou moi amenons un embryon de base musicale aux autres. Je passe un peu de temps à le structurer avec Johann pour avoir une colonne vertébrale qui fonctionne autour de l'idée musicale qui fait le cœur de la chanson, ce qui peut vouloir dire composer certaines parties en plus, ou au contraire passer de 7 ou 8 idées mélodiques à une ou deux. Une fois que la colonne vertébrale fonctionne, on la peaufine en groupe jusqu'à obtenir un instrumental basse / guitares / batterie / synthés et machines qui fonctionne. Après quoi, on laisse reposer quelques semaines, ou dans le cas de certaines chansons, quelques années...), jusqu'à ce qu'une ligne magique apparaisse dans mon carnet de notes, qui soit idéale pour l'esprit de ce que l'instrumental essaie de me dire, et j'écris le reste du texte et de la mélodie vocale autour. Après quoi, la majeure partie du temps se passe à choisir entre les 1000 idées de guitares et de claviers qui pourraient habiller le morceau, jusqu'à obtenir une démo assez proche du produit fini. On entre en studio avec une idée très précise de ce qu'on veut faire du morceau, jusqu'à la moindre note.
Combien de morceaux composés et au final combien de conservés ?
On a l'air de beaucoup travailler comme ça, mais en fait on est de vraies feignasses. Il n'y a que très peu d'inédits. Et on tenait absolument à mettre notre reprise de "Hey You" de Pink Floyd sur "The Maze" : on l'avait conçue pendant le confinement, pour se consoler de ne pas pouvoir jouer ensemble (c'est quand même l'une des plus grandes chansons jamais composées sur le thème de l'impossibilité de communiquer). On était très fiers de la version "demo" publiée à l'époque, mais on l'a refaite intégralement en studios pro pour la mettre au même niveau que le reste de l'album, et notre ami Yvan nous en a fait un mix sublime.
Quelles évolutions musicales ou autres vous notez depuis les débuts ?
On a sans doute appris à être plus libres et plus directs dans les compos. Et comme tu le soulignais plus haut, le passage à deux guitares a permis d'étoffer le son sans perdre en identité.
Comment on se retrouve avec Brian Robbins (Asking Alexandria, Bring me the Horizon) au mixage et Andy Van Dette (Porcupine Tree, David Bowie) à la mastérisation, sans oublier Yvan Barone à la production ?
On demande (rire). On re-demande, même. C'est exactement la même équipe qui avait réalisé le premier album. Yvan est un ami de longue date, que j'ai rencontré du temps où je jouais dans un groupe de reprises. C’est un vétéran des plus gros concerts de Montreux et une légende dans son milieu. On travaille avec lui comme recording engineer et co-producteur de fait. Il n'a pas son pareil pour les prises de son qui font ressortir le côté organique, analogique, la richesse de texture qu'on cherche. Brian nous avait été présenté par un ancien manager, il mixe avec un sens de l'impact et de la puissance qui contrebalance bien la richesse du son qu'on lui envoie avec Yvan, et c'est une crème de mec, d'une patience infinie. Et Andy a mastérisé l'un de mes vinyles favoris de tous les temps, In Absentia de Porcupine Tree, on l'avait donc approché un peu au culot et il a dit oui.
Pour conclure, je reviens sur la couverture de l'album. Superbe labyrinthe et surtout cette lumière (d'espoir?). Qui a eu l'idée, qui l'a réalisée ?
Merci beaucoup. La lumière, c'est la révélation qu'on espère en s'engageant dans le labyrinthe en quête de soi. C'est notre directeur visuel, Alban Verneret, qui l'a réalisée, comme celle du premier et tous nos visuels. On a discuté de ce thème général de l'album, cette quête de l'identité dans la complexité du monde et de ses propres émotions ou de son propre cerveau, et l'image lui est venue assez vite, parmi trois ou quatre autres concepts. On a choisi celui-là et on l'a finalisé avec lui. Dans la série “maniaques du contrôle”, on se pose là (rire). Et puis, on savait qu'on voulait sortir l'album en vinyle : la pochette a été pensée en fonction de ça.
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L&T le 12.03.2025
