interview

Merzhin
Merzhin fait parti des groupes de rock incontournables dans le paysage français. Avec "Nomades", ils avaient opéré un tournant dans leur carrière. Avec "Marche ou (C)rêve", ils confirment cette évolution avec sûrement leur album le plus sombre. Une rencontre avec Pierre Le Bourdonnec nous permet d'en savoir plus. 

L&T: On s'était rencontré en 2018 pour l'album "Nomades", un titre d'album qui ouvrait des horizons, avec "Marche et (C)rêvre", les horizons semblent plutôt bouchés ?
Pierre: Un peu. C'est Marche ou Crève ou Marche ou Rêve, c'est vraiment toi qui en fait l'interprète comme tu veux. 

L&T: Vous avez joué sur le jeu de mot mais on est plus dans le "Rêve" ou le "Crève" ?
Pierre: C'est vraiment en fonction de ton ressenti. C'était ce que l'on voulait que les gens découvrent et fassent vraiment en fonction de ce qu'ils ressentent.

L&T: Où nous entraînez-vous avec ce nouvel opus ? 
Pierre: On va plus loin. On est dans un côté post rock avec des morceaux plus longs, peut être plus atmosphériques. Une ouverture musicale par rapport à l'album précédent. Après, pour les thèmes abordés, ce sont quasiment les même que ceux que l'on traite depuis des années. On n'est pas très différent finalement de "Nomades" dans les thématiques. On parle toujours d'humanité.

L&T: Finalement les choses évoluent très lentement par rapport à ce que vous dénonciez dans 'Nomades" ? 
Pierre: C'est vrai que parfois on a du mal à se réjouir de la situation. Même si on entretient l'espoir à travers toutes nos thématiques. Il n'y a pas que du sombre. Mais on est loin de se réjouir de ces changements d'époques et on reste très alerte sur tout ce qu'il se passe autour de nous. On n'a pas envie de se voiler la face, mais on n'a pas envie de se résigner non plus. C'est un peu l'idée et le concept de l'album. 

L&T: Dans la présentation de cet album, on parle "d'album dystopique, noir, solaire, le plus puissant de votre carrière". Pourquoi ce terme de "dystopique" ?
Pierre: Il y a forcément cette facette là. Je vais citer  le morceau qui a donné le titre à cet album "Marche ou (C)rève" qui est directement inspiré d'une BD qui s'appelle "Snowpiercer" qui est de la dystopie pure.  C'est vraiment trouvé un sens entre un fait quand on voit les rapports entre le climat et les situations sociales, on peut se demander vers où on va. Et si on choisit le bon chemin. C'est ça l'idée de cet album. Sans avoir la réponse.

L&T: Cet album est sorti peu après les élections. C'était voulu ?
Pierre: En fait, on aurait bien voulu le sortir avant. L'année dernière même. Mais on a réfléchi et la situation ne nous permettait pas d'envisager sereinement une sortie. On ne savait pas encore comment aller évoluer la situation avec la Covid. Si on allait être confiné à vie (rire). C'était impossible pour nous de nous projeter. Sachant aussi que les tournées d'artistes ont été annulées pendant 2 ans et également les reports des anciens concerts qui n'ont pas eu lieu. On était dans un moment où tout était bouché. En fait, on avait prévu de le sortir en plein week end des élections en avril. Mais on l'a décalé pour le sortir après. 

L&T: "Marche et (C)rêvre" est votre 8ème album, c'est le plus engagé et sans concession ?
Pierre: Oui, c'est exactement ça. Je crois que les 2 derniers albums sont de la même veine. C'est la suite de "Nomades", au moins dans les engagements et les combats. Même si on a plus ouvert ce dernier musicalement vers un post rock comme on le disait tout à l'heure. "Nomades" était plus dans un côté alternatif. Et surtout il avait été fait un peu dans l'urgence. Mais "Marche et (C)rêve" on a eu un peu plus de temps. C'est la première fois qu'on avait autant de temps pour préparer un album. Le confinement a eu ça de bon pour nous. Ca nous a permis de nous poser et prendre du temps pour composer et travailler les morceaux pour les emmener jusqu'au bout. Ce côté là a été vraiment bénéfique. Même si les thèmes abordés sont quasiment les mêmes, mais on a pu aller encore plus loin. 

L&T: C'est un album que je trouve particulièrement dense, intense même, c'est grâce ou à cause de la pandémie que vous avez pu le travailler plus profondément peut être que les albums précédents ?
Pierre: C'est vrai que c'est la première fois qu'on peut prendre 2 années pour composer. Les albums sont écrits généralement lors des tournées, en 6 mois, c'était notre rythme. Mais là, on s'est dit, quitte à étre arrêté, on va prendre notre temps de pousser à l'extrême chaque morceau. C'est pour ça que l'album s'en ressent. Il est plus dense, plus long. Et finalement c'est quelque chose qu'on aimerait pouvoir faire, ou refaire. 

L&T: Ca allait être ma question: est ce que dans le futur, cela pourrait être une nouvelle manière d'aborder vos albums ?
Pierre: On pense oui, car on a vraiment apprécier de travailler comme ça: plus sereinement, plus posé.

L&T: Votre son a évolué, sûrement dû à ce travail plus poussé. Mais les guitares me semblent plus agressives, plus rageuses sur certains titres. Mais également des morceaux plus lents, plus emprunt de sérénité même. Je pense à "Sphera", posé comme une sorte de césure ou de cassure dans cet album. 
Pierre: C'est ça. On s'est dit comme cet album est plus dense, une partie musicale en plein milieu, ça ferait du bien. Et quand on l'a composé, on est parti dans cette idée de cassure, de break oui. 

L&T: Et pendant le concert pour en profiter pour boire un coup ?
Pierre: (rires). Non, non. Le morceau ne sera pas présent dans la set list. Ou alors, ce sera peut être la musique de fin de concert. 

L&T: Vous conservez votre signature avec toujours les instruments à vent?
Pierre: Ah oui. C'est ça la signature du groupe donc oui oui, toujours très présent. On est un groupe de rock avec des instruments traditionnels et à vent.  Bien évident on le garde. Même si les choses ont évolué, qu'il y a moins de mélodies bretonnes, mais la bombarde par exemple est utilisée comme guitare avec un son et une manière différente de l'appréhender et de le jouer. Mais les instruments sont toujours là même si il y a une évolution mélodique et sonore. Pour les guitares, c'est l'arrivée de notre nouveau guitariste, Baptiste, pour qui c'est le 1er album avec nous, qui a apporté sa patte et ses influences. Et ça se ressent bien oui. 

L&T: J'allais y venir justement. Il vous a apporté quoi, en plus de son "son" ?
Pierre: Il a beaucoup travaillé sur les compos. Et il a aussi réalisé l'album. C'est le petit jeune qui nous pousse.  C'est la nouvelle génération et ça nous fait du bien. 

L&T: Vous aviez besoin d'un petit coup de pied au cul ? 
Pierre: Totalement. Et c'est vrai qu'il nous a ouvert des portes. Car lui, il a d'autres références que nous, qu'il nous a fait découvrir. Il nous a fait découvrir des machines qu'on n'utilisait pas forcément. Il est de cette nouvelle génération qui travaille avec tous ces nouveaux matériaux et il voulait pousser à l'extrême tous les morceaux, et il nous a obligé à être meilleur. 

L&T: Pourquoi ce choix du Studio ICP de Bruxelles et surtout avec Drew Bang pour travailler sur cet album, vous aviez besoin d'une nouvelle oreille, et d'une production plus "massive" ?
Pierre: A la base, on devait retourner au Black Box. Mais quand Mehdi du label (Verycord) a entendu les morceaux, il nous a dit que ça méritait un plus grand studio pour pouvoir avoir une palette de sons plus conséquente. Et comme il travaille régulièrement avec ICP, les choses ont pu se faire. Surtout ils ont beaucoup de matériels. Le studio a écouté les maquettes, et le label a demandé quel ingénieur du son serait bien pour travailler à partir de ces maquettes. Et c'est le studio qui a proposé Drew.... Ca s'est fait comme ça. On ne se connaissait pas.

L&T: Et le courant est passé tout de suite ?
Pierre: Ah oui, ça a matché direct. Il a bien accroché sur les morceaux, et on s'est très vite compris. Il n'y a pas eu de période pour apprendre à travailler ensemble. Ca s'est vraiment très bien passé.

L&T: Est ce votre album le plus sombre ?
Pierre: Oui je pense. On parlait de ça juste avant. Comme on se base encore sur ce qu'il se passe actuellement, cet album est vraiment noir. Mais ce n'est pas que ça.

L&T: Oui, il y a quand même des chansons plus optimistes.
Pierre: Oui, heureusement. Mais dans l'ensemble, c'est notre album le plus noir oui.

L&T: J'ai l'impression que cet album a été pensé pour la scène. Je veux dire peut être encore plus que les précédents?
Pierre: Oui oui. A la base on voulait que tous les morceaux sonnent en live. Donc on l'a travaillé live. Au contraire de "Nomades". Mais pour celui-là, on voulait absolument pouvoir tout jouer sur scène. Bon, on ne jouera pas tout l'album car on fera aussi d'autres morceaux, mais on va quand même en jouer 8 ou 9 morceaux. 

L&T: Avec toute votre discographie plus "Nomades" que vous avez pu quand même un peu présenter sur scène avant la pandémie,ce n'est pas évident de faire une set list ?
Pierre: Ce sera effectivement un brassage des 2 derniers albums. Avec quelques autres morceaux des albums passés. 

L&T: Vous avez quand même des incontournables ?
Pierre: Non non, pas vraiment. C'est un choix. Depuis une ou 2 tournées on a décidé de ne plus jouer les anciens morceaux pour pouvoir quand même rester cohérent avec ce que l'on fait maintenant. Avant, c'était plus du festif. Désormais nos textes sont plus engagés, notre musique aussi est différente donc il faut qu'on reste cohérent avec l'évolution qu'on a donné au groupe. Même sur scène.Et on a pris le pari de ne jouer que les derniers albums. 

L&T: On parle d'un "disque tournant" dans votre carrière. Pour moi, "Nomades" était déjà un tournant.
Pierre: Oui. C'est pour ça que c'est la suite logique de "Nomades". C'est vrai que "Nomades" a marqué une fin d'époque et un renouveau, ou plutôt une évolution du groupe. Et on l'a bien senti sur les retours que l'on a eu, que ce soit sur les albums et aussi sur les lives. On a des nouveaux fans qui sont arrivés et qui nous suivent maintenant.

L&T: Vous en avez perdu des anciens ?
Pierre: Oui, sûrement. C'est un pari. On a pris cette décision là, en sachant qu'on allait gagner des fans. Après les anciens ont pour la majorité suivi cette évolution et sont toujours là. Après d'autres qui nous suivaient sur les premiers albums ne se retrouvent plus sur les nouveaux, on le voit, et on peut comprendre. On a eu des messages de gens qui nous disaient qu'ils nous préféraient avant. D'autres de gens qui disent que c'est une révélation et qu'ils ne nous connaissaient pas. Je pense que ça doit être pareil pour pas mal de groupes qui évoluent musicalement. Leur public évolue aussi.

L&T: On t'a retrouvé sur le très bon album de Darcy "Machines de Guerre", la relève semble bien assurée avec les  nouveaux groupes du rock engagé français ?
Pierre: C'est vrai qu'on a un retour au punk, et un punk énergique. Et c'est vrai que eux, sur scène, dégagent une énergie qui est incroyable. Et en plus ce sont des gens vraiment cool. On s'est rencontré sur une date dans le Massif Central je crois, et le courant est passé tout de suite. Et ils m'ont appelé, pendant le confinement, au moment où ils enregistraient leur album. Et j'ai brisé le confinement pour aller à Rennes enregistrer avec eux. La scène française est bien vivante malgré que j'entends partout que le rock est mort. Mais on a une belle scène, qui s'est renouvelée et c'est tant mieux. Ca fait plaisir de voir ce genre de groupe qui sur scène envoie bien. 

L&T: Ca doit faire bizarre quand ces nouveaux groupes disent que vous les avez inspiré. Vous vous sentez comme des pionniers ? 
Pierre: Oui c'est vrai. On a l'impression d'être des vieux. C'est sûr que ça fait plaisir. Mais en même temps, ça nous oblige aussi à nous renouveler, nous remettre en question et surtout à envoyer du steak sur scène. Quand on voit tous ces groupes, comme ils envoient, il faut aussi être à la hauteur. C'est un bon boost pour nous. C'est une bonne synergie également entre tous les groupes.

L&T: On a des questions rituelles pour terminer nos interviews : la dernière fois pour définir le groupe en 2 ou 3 mots, vous m'aviez dit dans le désordre Rock Breton qui bombarde !! Amitié, passion …Transpiration. 4 ans après, c'est toujours pareil ou bien y a t il un nouveau mot qui pourrait vous définir ?
Pierre: Confinement (rires). Renouveau je dirais. Avec l'arrivée de Baptiste, notre guitariste, qui n'était pas encore là pour "Nomades". En fait il est arrivé sur la tournée "Nomades". Renaissance aussi. Echauffements (rires). Maintenant il faut un peu s'échauffer avant de monter sur une scène (rires).

L&T: Et pour terminer, quel est le dernier morceau, ou le dernier album que vous avez écouté ?
Pierre: Le dernier album de Idles. C'est énorme. J'adore ce groupe. Ah non, le tout dernier est celui de Jack White. C'est lui que j'ai écouté en dernier. 

L&T: Merci pour cette interview.
Pierre: Merci beaucoup. 


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L&T le 31 Juillet 2022






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