interview
Alta Rossa
Rencontre avec Alta Rossa, le groupe franc comtois qui a sorti, fin novembre 2024, un deuxième long format intitulé "A Defiant Cure". Toujours aussi noir, mais avec cette fois quelques nuances d'espoir par rapport "a Void of an Era" leur premier opus. Ils nous parlent de ce nouvel album et de leur évolution musicale.
On s'était déjà rencontré en 2022, mais faisons un petit rappel de qui est "Alta Rossa" ?
Alta Rossa, c'est un groupe de Sludge/Post-whatever originaire de Besançon. Nous explorons des univers sombres et intenses avec des compositions teintées de rage et de mélancolie. Depuis le premier album, notre objectif est de partager une expérience viscérale avec le
public, autant sur scène qu'à travers nos albums.
Présentez-nous un peu votre nouvel album "A Defiant Cure". Où nous entraînez-vous cette fois-ci ?
A Defiant Cure est une réponse à l'époque que nous vivons. On voulait capturer l'idée de résistance, de lutte pour surmonter des épreuves. C'est un album qui mélange espoir et rage, un voyage cathartique qui explore des thématiques proches du nihilisme, du matérialisme, qui emprunte au Solarpunk, évoque les différentes formes d’abus de pouvoir, mais aussi les luttes individuelles et collectives.
Même si, comme vous le dites dans votre présentation, c'est un album plus optimiste que Void of an Era, on reste quand même dans une ambiance très sombre ?
Absolument, la noirceur reste une partie intégrante de notre identité. Cependant, là où Void of an Era était plus désespéré et introspectif, A Defiant Cure propose des nuances d'espoir et de révolte. L’aspect sombre dans notre musique est toujours là, mais elle sert de toile de fond à quelque chose de plus positif. C’est aussi une façon de différencier le côté musical de celui des textes et des thématiques. On ne fait pas une ode à la joie non plus, mais c’est plutôt une mise en pratique de ce que le philosophe Alain développait dans sa phrase sur le bonheur : «Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté. Tout homme qui se laisse aller est triste... »
Je trouve qu'il y a une évolution au niveau du son. Cet album sonne différemment du précédent. Quelles évolutions lui avez-vous apportées ?
On a travaillé sur des structures plus variées et des arrangements plus riches. On voulait expérimenter, ajouter de nouvelles textures et repousser nos propres limites. On a eu la chance de pouvoir le faire grâce à plusieurs temps de résidence pour travailler les arrangements,
réfléchir à différents réglages d’effets, choix de matériel, accordage de batterie, etc.
La production est aussi plus aboutie, avec un son plus organique et une dynamique plus marquée. On s’est vraiment approchés au maximum du son que l’on voulait pour Alta Rossa au moment d’enregistrer, à tel point que les prises brutes sonnaient déjà très proches de ce que l’on entend sur l’album mixé et masterisé. On a travaillé principalement avec Thomas Fournier pour la plupart des prises, du mix et du mastering dans différents lieux, et c’était un
réel plaisir.
Comment jugez-vous cette évolution ? Évolution nécessaire, ou plutôt une évolution naturelle du groupe ?
On pense qu’elle était effectivement nécessaire, car c’était quelque chose qu’on travaillait depuis un moment en répétition et en résidence. Pour notre premier album, on avait besoin de sortir un disque pour avoir de la matière. On en est encore hyper contents, mais nous n’avions pas spécialement pris le temps de peaufiner tout ce que l’on a fait pour celui-ci. A Defiant Cure est plus représentatif de ce qu’est le son d’Alta Rossa finalement.
"The Art of Tyrant" est un des titres marquants de cet album, avec pour sujet "Dora Maar", femme et artiste brillante écrasée par Picasso. Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce sujet ?
Dora Maar est toutes les autres victimes de Picasso, et toutes les autres victimes de ces artistes que certains aiment dissocier de l’homme. Ils vivent pourtant dans le même corps... Le morceau fait partie des titres dont le texte était écrit avant la musique. C’est en écoutant une émission sur l’histoire de l’art, et donc sur l’histoire de Picasso, que tout est venu. La violence psychologique et physique qui y est racontée est ahurissante. Le sujet étant quelque chose qui nous tenait à cœur, on a trouvé que la métaphore du Minotaure était finalement assez universelle.
En plus de cela, on a trouvé intéressant d’y ajouter une seconde lecture plus individuelle. Nous sommes un groupe de gars avec la possibilité et l’évidence que la société nous a forgés pour être de potentiels Minotaures. Et c’est là qu’on revient à la thématique globale de la lutte, de la dualité naturelle/volonté, individualité/collectif, idéalisme/matérialisme, etc..., expliquée plus tôt.
Sur ce titre, on retrouve la superbe voix de Laurie Cassus, qui est parfaite sur ce morceau ?
Oui, Laurie (aka Lauve pour son nom d’artiste) a apporté une sensibilité unique à ce morceau. C’est une artiste incroyable, et sa voix contraste magnifiquement avec l’intensité de nos arrangements. Collaborer avec elle, c’était aussi un moyen de mettre en avant les femmes dans un univers encore trop souvent dominé par les hommes. On a la chance, en France, d’avoir des mouvements comme More Women On Stage & Backstage, autant les mettre en avant le plus possible et de la façon la plus sincère.
On va continuer avec les textes. On retrouve les thèmes du pouvoir et de la tyrannie, mais quels autres sujets abordez-vous ?
Comme on disait plus tôt, chaque morceau explore une facette différente de la condition humaine, avec des thématiques toujours liées autour des mêmes dualités. On traite de la question patriarcale en y posant un questionnement personnel, en plus de montrer l’horreur
systémique. On aborde la question environnementale sur Fields of Solar Flames, en adoptant une vision inspirée du Solarpunk plutôt que de puiser dans le post-apocalyptique. On traite aussi de questions existentielles comme la mort ou le pouvoir, avec des concepts proches du nihilisme, par exemple dans Exalted Funeral ou From This Day On.
Qu'est-ce qui vous attire dans tous ces sujets ?
Ce sont des thématiques universelles et intemporelles. Elles nous touchent personnellement et résonnent avec ce que beaucoup de gens traversent. C’est une manière pour nous de nous connecter entre nous et avec le public. Écrire des textes, c’est aussi une catharsis importante, mettre des mots sur des émotions qui nous traversent et nous bousculent.
C'est un album intense, prenant, oppressant. Allez, je tente quand même cette question : c'est un concept album ou pas vraiment ?
Pas tout à fait. Chaque chanson peut exister indépendamment, mais il y a un fil conducteur émotionnel. On pourrait dire que c’est un album thématique plus qu’un véritable concept album. Tu retrouveras partout la dualité et la résistance en guise de fil d’Ariane.
Comment travaillez-vous dans le groupe ? Qui fait quoi ?
On fonctionne de manière très collaborative. Les idées peuvent venir de n’importe qui. Souvent, l’un de nous propose une base – riff ou texte – et on construit ensemble. C’est principalement Jordan qui apporte une colonne vertébrale aux morceaux, et on torture tout cela ensemble en répétition, en session de home studio, etc. La synergie est essentielle pour nous : c’est comme ça qu’on pousse chaque morceau à son maximum jusqu’à ce que tout le monde y trouve son compte. On arrive souvent au résultat où l’on finit par se jeter un regard assez joyeux en répète et de conclure que « là, c’est cool ».
Est-ce que c'est un album qui a été conçu pour la scène, ou pas spécialement ?
Totalement. Chaque morceau a été pensé pour avoir un impact en live. On imagine toujours comment nos chansons résonneront sur scène. On veut que chaque concert soit une expérience intense, avec un travail de lumières pour marquer le coup.
Pour conclure, la couverture de l'album est superbe, avec ce magnifique Minotaure. Qui a eu l'idée, et qui l'a réalisée ?
Le Minotaure symbolise la dualité, la lutte entre l’humain et le monstre en chacun de nous. The Art of Tyrant, étant un peu le morceau central de l’album, nous voulions un visuel qui capture cet état d’esprit. L’artwork a été réalisé par Simon Chognot, alias S. Blaek. Il a parfaitement capturé l’essence de l’album, car nous ne l’avons pas tant guidé que cela. Nous étions déjà très fans de son travail, donc la confiance était totale. Et nous ne nous sommes pas trompés, c' est un artiste incroyablement talentueux.
https://www.facebook.com/altarossa
L&T le 12.01.2025
